Notre part de bestialité
Poster un commentaire2 mars 2014 par Julie Curien
Dans le recueil de nouvelles La fosse aux ours, Esteban Bedoya (1958 – ), écrivain paraguayen, réveille la bête qui gît, peut-être, au fond de tous :
via une narration relativement réaliste pourtant, il exprime le fonds primitif de tout un chacun voire d’un pays entier, dont l’animal, du serpent à l’ours en passant par l’éléphant, constitue l’avatar des portraits esquissés.
Les planteurs de coquelicots ont des rêves obstinés,
des rêves où leurs mains délaissent les fleurs aromatiques.
Leurs corps voûtés nourrissent l’espoir de s’ébattre un jour en toute liberté.
Dans les villages hors du temps où ils s’égarent, nul ne vient leur porter secours.
Ils appartiennent à une caste éternelle et elle se reproduit sans fin.
Les hommes aux coquelicots rêvent d’épancher leur soif d’indépendance,
De boire dans l’abondance jusqu’à en perdre la tête.
Ce sont les oubliés du Népal, du quartier de San Pedro, du faubourg de Florencia Varela, au sud du Grand Buenos Aires.
Un jour, peut-être, le sort les bénira. Un jour, peut-être, le Seigneur leur fera don d’une bête qui les soutiendra et portera leurs rêves.
Dans ces récits païens de métaphores voire de métamorphoses, l’être apparaît fondamentalement comme un enfant indomptable, toujours en cours d’initiation. Dans ce (non) passage à l’âge adulte, le charnel et le spirituel ne cessent de se rencontrer, de se heurter, par le jeu d’une écriture qui construit une mythologie latino-américaine à la fois conjoncturelle et profonde, plongeant ses racines dans une mémoire féconde.
Le propos, fort, servi par les illustrations de Sara Atka, engendre une lecture déroutante, propice à interroger le sens… A parcourir, pour commencer, le pitch de la dernière goutte (c’est le nom de l’éditeur), avec un extrait de la nouvelle éponyme !