Connaissez-vous Tina Modotti ? Maintenant, oui.
Poster un commentaire26 novembre 2014 par Julie Curien
Je sens […] que le problème de la vie affecte le problème de l’art…
Dans mon cas, la vie lutte sans cesse pour être la plus forte.
Et naturellement l’art en souffre.
Déjà, le titre : pas Tina, non… Tinísima ! Surnom… superlatif, voire affectueux, laudatif ? Mais qui se cache donc sous ce prénom-sobriquet ? La journaliste et écrivain(e) mexicaine Elena Poniatowska, née à Paris en 1932, nous le révèle dans un captivant pavé de 800 pages, disponible en langue française grâce aux éditions L’atinoir qui en publient en 2014 une traduction signée Jacques Aubergy et Marie Cordoba. Au gré de ce journal presque chronologique est déroulée l’histoire d’une photographe et communiste italienne passionnée aka engagée, Tina Modotti, qui a passé sa vie aux quatre coins du monde.
Née en Italie en 1896, elle émigre aux Etats-Unis avec ses parents et fratrie pour fuir la misère propice à l’apparition du fascisme ; elle intègre un cercle d’intellectuels bohèmes, rencontrant son maître d’arts, Edward Weston, avec lequel elle part apprendre la photographie sur les terres fertiles du moment : le Mexique post-révolutionnaire des années 1920, « phare » de l’Amérique latine !
Mexico : une révélation artistique et politique, tant et si bien qu’Elena Poniatowska choisit cette ville pour ouvrir comme pour clore ce roman biographique. Tout y semble possible & tous y voient la vie en grand, à l’instar des fresques muralistes de Diego Rivera, maintenant proche du couple photographe. Les photographies de Tina, fascinée par ce terreau, sortent du formalisme pour épouser les conditions de vie locales, mais aussi mettre en perspective le Mexique d’aujourd’hui à la lumière de ses origines, notamment précolombiennes.
L’amour des hommes et de l’art guidant ses pas, Tina découvre, toujours au Mexique, l’engagement politique au sein du parti communiste, grâce à son nouvel amant. Une nouvelle ère s’ouvre, constituant pour le lecteur un éclairage édifiant sur la politique des années 1920-1940 en Amérique latine, mais aussi dans l’ensemble du monde occidental. Tina photographie pour la presse du parti, participe / organise des réunions… L’amour n’a pas dit son dernier mot : elle tombe sous le charme absolu d’un jeune révolutionnaire cubain en exil, Julio Antonio Mella, qui meurt d’un crime politique dont elle subira une enquête orientée virant à l’harcèlement… et la condamnant à son tour à l’exil. Les attaques portaient notamment sur sa vie privée, aka l’«immoralité» de ses relations amoureuses et la sensualité déplacée de ses expressions… ! Avec cet événement tragique, une partie d’elle semble (déjà) morte. Quand elle quitte Mexico, elle n’emporte quasiment rien avec elle ; elle laisse notamment à un photographe en devenir, Manuel Álvarez Bravo, du matériel et des photos.
Direction l’Europe : l’Allemagne du début des années 1930, avant, elle l’espère, de retourner en Italie. Trêve de rêve : elle est aussi recherchée en Italie, en tant qu’ennemie du fascisme. Elle est sauvée par son compatriote, ami et dernier amant, Vittorio Vidali, agent soviétique, aux côtés desquelles elle oublie l’art pour se consacrer à corps perdu à la cause politique, au même titre que lui. Depuis Moscou, ils enchaînent séparément, et parfois ensemble, les missions périlleuses, dont la plus marquante est certainement leur participation à la guerre d’Espagne, où Tina aide les familles des prisonniers politiques.
Une horreur, qui se solde par une défaite, Tina et Vittorio repartent pour l’Amérique, et échouent dans un Mexico qui a également perdu de son effervescence. Tina n’est plus que l’ombre d’elle-même : elle n’a plus d’identité, n’est plus artiste… ni communiste, dans la mesure où elle désapprouve le pacte germano-soviétique. Elle meurt en 1942, à l’âge de 45 ans, d’une crise cardiaque.
Un ouvrage instructif, bien écrit & traduit, dressant le portrait d’une femme d’exception, ayant vécu au cœur des événements marquants du XXème siècle. Je répète : un roman captivant.