La racine de l’ombú
Poster un commentaire2 novembre 2014 par Julie Curien
Cher Julio, […] je t’écris parce qu’après trente ans, le petit livre qu’on a fait ensemble, quand tu vivais à Paris et moi à Rome, va être édité cette année dans les règles de l’art. La vie nous joue de ces tours ! Mais mieux vaut tard que jamais.
Le plus mieux, comme disent les enfants, sera de raconter comment on en est arrivé à cette histoire, qui n’est malheureusement pas pour les enfants, malgré les dessins et les bulles. J’appelle ça une histoire mais je pourrais écrire ce mot avec une majuscule car l’imaginaire n’y est qu’un pivot, un point de départ vers le reste : la réalité de l’Argentine dans les dernières décennies. Et si l’on nomme communément ce genre d’œuvres graphiques bandes dessinées, il convient d’annoncer qu’ici les masques sont tragiques et que cette œuvre d’Alberto Cedrón n’est pas essentiellement fondée sur le jeu ou le fantastique ; partant de lui-même comme figure centrale du récit, les images surgissent des souvenirs et des évocations, de l’horreur et de l’espoir, chronique d’une vision argentine, j’entends par là une vision actuelle de l’enfer.
Quand deux artistes argentins exilés se rencontrent et produisent un objet non identifié : ainsi naît La racine de l’ombú [de son titre original : La Raíz del Ombú], roman graphique interrogeant les frontières génériques — bande dessinée, poésie, correspondance épistolaire, brève histoire découvrant un bout d’Histoire étouffée, fable fantastique révélant des réalités subjectives et collectives.
Au commencement : des images, qu’Alberto Cedrón (1937-2007), peintre et sculpteur, propose, dans les années 1970, à Julio Cortázar (1914-1984) de « transformer en livre », avec des mots, des dialogues, une structure… Pour opérer cette métamorphose, Julio Cortázar demande à Alberto Cedrón de lui parler de chaque dessin, l’écoute, et parvient, grâce à ces échanges, à exprimer, raconter l’intimité de ces couleurs, de ces traits, de ces tableaux frappants, presque traumatiques, relevant de l’inconscient.
A l’ombre du Maguey, dont j’ai déjà eu l’occasion de présenter une autre parution, propose une version française inédite & extrêmement riche de cet ouvrage, traduit de l’espagnol par Mathias de Breyne : un livre fort, engagé, mobilisant, dont la fin ne serait pas encore écrite, du moins ses auteurs l’espèrent dans ces dernières lignes…
Cette histoire se poursuit au-delà de ces pages.
Cette histoire n’est qu’un petit bout de l’histoire argentine.
Le reste est entre les mains du peuple.