Comprimé strident… iste
13 janvier 2014 par Julie Curien
Nous en finirons avec les encapuchés de la poésie.
Mexico, 1921, un cri, écrit, dans la nuit.
Manuel Maples Arce placarde ainsi
son manifeste poétique,
intitulé « Comprimé stridentiste »
sur le modèle, peut-être, d’une réclame mode d’emploi
pour un remède révolutionnaire :
I. Ma folie n’est pas dans les présupposés. La vérité n’arrive ni ne découle jamais en dehors de nous. La vie n’est qu’une méthode sans portes qui pleut par intervalle. […]
II. Toute technique artistique est destinée à remplir une fonction spirituelle à un moment déterminé. […]
III. « Une automobile en mouvement est plus belle que la Victoire de Samothrace« . […]
IV. Il faut exalter sur tous les tons stridents de notre diapason propagandiste la beauté actualiste des machines […].
V. Chopin à la chaise électrique ! […]
VI. […] Tout tremble. Mes sensations s’amplifient. […]
VII. Plus question de créationnisme, de dadaïsme, de paroxysme, d’expressionnisme, de synthétisme, d’imaginisme, de suprématisme, de cubisme, d’orphisme, etc., etc., de « ismes » plus ou moins théorisés et efficients. Faisons une synthèse quintessentielle et purifiante de toutes les tendances qui ont fleuri au plus haut plan de notre moderne exaltation illuminée et épatante, non par un faux désir conciliatoire – syncrétisme -, mais par une rigoureuse conviction esthétique et d’urgence spirituelle. […]
VIII. L’homme n’est pas un mécanisme d’horlogerie nivelé et systématique. L’émotion sincère est une forme de suprême arbitraire et de désordre spécifique. […]
IX. Et la sincérité ? Qui a posé la question ? Un moment, messieurs, il faut changer les carbones. […]
X. Cosmopolitisons-nous. […]
XI. […] Ne pas intégrer les valeurs, mais les créer totalement […]. Fixer des délimitations […] sur un plan de dépassement et d’équivalence. […]
XII. […] Faisons de l’actualisme. […]
XIII. […] C’est en synthèse une force radicale opposée au conservatisme solidaire d’une société ankylosée. […]
XIV. J’excite tous les jeunes poètes, peintres et sculpteurs du Mexique […] à venir se battre à nos côtés. […]
Ce programme avant-gardiste, publié dans ce qui constituera le numéro un de la revue Actual, est suivi d’un répertoire de quelques deux cents poètes, pour la plupart issus de l’ultraïsme espagnol. Décrié par nombre de critiques & poètes, mais « tôt salué par Borges, ami de Diego Rivera, traduit par John Dos Passos,tiré de l’oubli par Roberto Bolano », Manuel Maples Arce (1900-1981) et le stridentisme qu’il fonde et porte tel un « apôtre » de 1921 à 1927, constitue, selon Antoine Chareyre, « une pierre (angulaire) » de la poésie latino-américaine, dont il est utile de restituer l’envergure. C’est pourquoi Le Temps des Cerises publie, en 2013, sous le titre collectif Stridentisme !, la première édition d’ensemble, en français, des textes cardinaux du poète à motocyclette. Antoine Chareyre y présente une traduction inédite du Comprimido estridentista (1921), les versions complètes de Andamios interiores (1922) et Urbe (1924) et une traduction nouvelle des Poemas interdictos (1927). L’oeuvre, présentée par Antoine Chareyre, est accompagnée d’un appareil de notes éclairantes et d’un dossier riche en documents d’époque et analyse propice à la mise en perspective. Vous pouvez découvrir ici l’avant-propos. Cerise sur le gâteau, Le Temps des cerises en fait un objet à ravir, petit format carré, conjuguant couleurs noires, rouges & blanches, parsemé d’illustrations (gravures sur bois) de Jean Charlot.
Au gré des métaphores, les multiples images — en prismes — rencontrent des voix — radios, piano, musiques — , expriment un certain lyrisme ; l’élan vers le présent, l’avenir, se teinte de nostalgie voire de romantisme. Je vous souhaite la bienvenue à bord de ce vol, avec le début de la merveilleuse « Chanson depuis un aéroplane » (1927) :
Je suis dans l’intempérie
de toutes les esthétiques ;
opérateur sinistre
des grands systèmes,
j’ai les mains
pleines
de continents bleus.Ici, à bord,
j’attendrai la chute des feuilles.
L’aviation
anticipe leurs dépouilles,
et une poignée d’oiseaux
défend leur mémoire.Chanson
fleurie
des roses aériennes
propulsion enthousiaste
des hélices neuves,
ineffable métaphore débarrassée d’ailes.Chanter.
Chanter.
D’en haut tout est
équilibré et supérieur
et la vie
est l’applaudissement qui résonne
dans le profond battement de l’avion.
Présentation du livre, avec la participation de Serge Fauchereau (historien et critique d’art), de Juan Manuel Bonet (critique et directeur de l’Instituto Cervantes de Paris) et du traducteur, mercredi 15 janvier 2013 à 19h, à l’auditorium de l’Instituto Cervantes (7 rue Quentin Bauchart, Paris 8e), entrée libre !