Positivement NO
Poster un commentaire16 mars 2013 par Julie Curien
A voir en salles, ou un jour prochain en DVD : NO (2012), une œuvre inventive et forte sur l’avènement de la démocratie au Chili, par le prisme d’une utilisation intelligente des médias. Ce film est signé Pablo Larraín (1937 -), cinéaste chilien, et constitue le dernier volet d’un triptyque consacré à la dictature de Pinochet, entamé avec Tony Manero (2009) et poursuivi par Santiago 1973 Post mortem (2010).
Date charnière pour le Chili : en 1988, le dictateur Augusto Pinochet organise, en réponse à la pression internationale, un référendum sur sa « présidence ». Le film de Larraín met en scène les élaborations respectives des campagnes rivales par deux collègues d’un même cabinet de publicité : le patron, cinquantenaire, pro Pinochet, et sa jeune recrue, dont l’une des tares serait d’être le fils d’un célèbre opposant exilé. Pour que la réalité — via les images de l’époque — et la fiction fusionnent, Larraín joue lui-même avec les médias : il utilise le format en vogue dans les années 1980, le 4:3 et des caméras à tube Ikegami de 1983.
Du « non » au « ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii » !!!
Pinochet & ses partisans croient la partie jouée d’avance. Le camp du OUI, coutumier du contrôle des médias, entend simplement continuer d’exercer sa confortable manipulation de l’opinion, à un détail/symbole près : Pinochet tombera la veste militaire pour s’afficher en citoyen… civil. Au départ, en guise de campagne publicitaire, l’avis de ces messieurs les généraux. Au fur et à mesure, toutefois, réagissant au succès des spots concurrents, l’équipe en place doit, à son tour, faire appel à un professionnel de la vieille école, qui, sans merci, ira jusqu’à menacer son employé et sa famille pour faire taire l’ennemi.
L’autre bord, celui du NON, se voit octroyé, pour la première fois depuis l’instauration de la dictature, un temps d’antenne sur une télévision censurée. Afin d’occuper au mieux cet espace, les militants ont l’ingénuité de recourir, pour la conception de leur campagne, aux services du jeune et prometteur René Saavedra. Ce prodige, campé par le charmant et sensible Gael García Bernal, va créer les conditions pour réaliser ce rêve : que la résistance, non seulement sorte de l’ombre, mais l’emporte sur le régime autoritaire. Tandis que les grands dissidents et les victimes du pouvoir poussent à dénoncer les exactions politiques de Pinochet, à coups d’images/témoignages de tortures/violences intolérables, René Saavedra renverse le point de vue : pour mettre fin aux temps sombres, il faut montrer le meilleur des mondes possibles, aka la lumière au bout du tunnel. Aussi, s’il propose aux Chiliens de voter NON, c’est uniquement pour dire OUI à une DÉMOCRATIE présentée comme un objectif riant, coloré, vivant auquel le public va vouloir adhérer, pleinement. Il construit et diffuse une image vendeuse de la démocratie, slogan déconcertant et imparable à l’appui : MAINTENANT VIENT L’ALLÉGRESSE ! ¡ LA ALEGRÍA Y A VIENE ! accompagné d’un tube/jingle, de danses, de dialogues, de discours, de jeux, d’humour… et d’applaudissements. 100% entrainant.
Mais à l’heure de la victoire, de la fête, l’émotion gagne l’homme : les larmes se mettent enfin à couler. En creux se dessine la société inégalitaire, injuste et sanguinaire sous Pinochet. Qu’adviendra-t-il ensuite ?
…
Pour approfondir cette relation très ambigüe entre démocratie libérale et propagande, je vous recommande vivement la lecture édifiante de Propaganda : comment manipuler l’opinion publique, écrit en 1928 par le neveu de Freud, Edward Bernays (1891-1995).