Bravo à Manuel Álvarez Bravo
34 janvier 2013 par Julie Curien
Manuel Álvarez Bravo (1902-2002), mexicain, comptable le jour, artiste la nuit, est un photographe majeur, que j’ai découvert à l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée jusqu’au 20 janvier 2013 à La Galerie du Jeu de Paume, à Paris.
Dès le départ, c’est le regard affûté de l’artiste qui s’exprime : la photo extrait du réel des motifs inattendus ; le détail, dans ce nouveau cadre, prend un sens inédit. Rideaux, pliages de papiers, empilement de livres, matelas enroulés : le quotidien se voit revisité par un ersatz de design photographique. Venu à la photographie par son intérêt pour le pictoralisme d’Hugo Brehme (1882-1954), qui vise à faire de la photographie un art à part entière et non une simple reproduction du réel, Álvarez Bravo se tourne rapidement vers la photographie « bizarre » d’Edward Weston et de Tina Modotti, pour tendre vers l’abstraction et le constructivisme.

Matelas (1927)

Juegos de Papel (1928)
Dans le sillage d’Eugène Atget dès les années 1930, Manuel Álvarez Bravo se fait photographe des villes. L’appareil capture ainsi Mexico, à l’heure de la grande urbanisation : le béton, les vitrines des enseignes métropolitaines, les citadins… Sur ce terrain, l’image est un jeu que la photographie se plaît à refléter : fruit d’un important travail de cadrage voire de montage, images emboîtées, effets de miroir, sujets (sur)pris dans des positions nouvelles (posture favorite : de dos)…

Les amoureux de la fausse lune (1967)
Le regard, formel, épouse peu à peu le sensible.

El color / La couleur (1966)
Manuel Álvarez Bravo noue des relations avec des artistes issus du monde de la peinture (Diego Rivera, Francisco Miguel), de la poésie (notamment surréaliste, dont André Breton), de la photo (Henri Cartier-Bresson) et du cinéma (Álvarez Bravo achète la caméra utilisée pour le tournage du film Que viva Mexico ! d’Eisenstein, et réalise avec elle un film expérimental ! plus tard, il devient photographe de plateau, sur les films de Luis Buñuel). Cette approche multiculturelle, transdisciplinaire, contribue à le propulser vers une carrière internationale.
Marqué par le temps de la révolution puis de la guerre civile, Álvarez Bravo décline aussi un motif récurrent très fort : la figure du personnage gisant.
Parmi les plus beaux éclairages, par Laura González Flores et Gerardo Mosquera, commissaires de l’exposition, sur l’œuvre d’Álvarez Bravo, je retiens :
la poésie des titres de ses photos, qui invite volontiers au songe,
ces murs qui dessinent des images,
la série de (parties de) nu(e)s exprimant des singularités qui se montrent et se cachent dans un même mouvement,
ou, tout simplement, le jeu affectionné par le photographe, consistant à poser son appareil au coin de la rue, de façon continue, afin de saisir la configuration éphémère des passants et du paysage urbain — pour citer les commissaires, « la photographie devient poésie, qui seule peut saisir ce qui est changeant, intangible : le passage transitoire de l’être humain sur terre. » Par le truchement de l’art photographique, la réalité devient rêverie… variation des plus intimes.

Portrait de l’éternel (1935)
Avis aux geeks : vous pouvez visiter le site Internet de l’association Manuel Álvarez Bravo, qui comprend une galerie bien fournie ! Pour les autres, amateurs de livres imprimés : voici la sélection livresque proposée par la librairie du Jeu de Paume :p
J’ai adoré, et surtout, on pouvait s’en douter, la jeune fille de l’affiche : boxeuse improbable couchée sur les cactus.

Il y a aussi dans les photos des années 40, un portrait de Juan Rulfo, l’auteur de l’étrange Pedro Paramo, comme quoi le Mexique est petit.
Mexique toujours et encore du cinéma, j’ai revu Le Trésor de la Sierra Madre, hier soir, (John Huston, B. Traven, Bogart), tourné au Mexique presque intégralement avec figurants et acteurs mexicains, une exception dans le Hollywood de l’âge d’or.
Et il te faut un billet sur B Traven.
Oui j’avais vu le portrait de Juan Rulfo et pensé à toi qui m’en recommandais tantôt la lecture 🙂 Je note pour B. Traven et Le Trésor…
[…] elle n’emporte quasiment rien avec elle ; elle laisse notamment à un photographe en devenir, Manuel Álvarez Bravo, du matériel et des […]